Aly Diouara, député engagé : combats pour l’égalité,un nouveau récit de la France sans faux débats et la justice sociale

2/5/2025

Alors que le Conseil constitutionnel vient de débouter les recours portés à son encontre, confirmant son élection en tant que député de la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis, Aly Diouara a accordé, le 29 Janvier 2025, une interview exclusive, sans langue de bois, à TRUSTMAG afin de revenir sur sa vie professionnelle et politique, ses combats, son entrée au Palais Bourbon et son regard froid sur l’espace public français ainsi que sur la gauche française.

Une interview réalisée par Mana, avec la participation d’Alida et Alexandre.

Aly devient député : de l’engagement associatif à l’engagement politique

Pourriez-vous vous présenter brièvement ?

Aly Diouara, 38 ans, député de la Seine-Saint-Denis, élu depuis le 7 juillet suite à la dissolution ordonnée (dénoncée par certains) par Emmanuel Macron. Avant cela, j’étais cadre de la fonction publique territoriale : je travaillais pour la mairie de Drancy, auparavant pour celle de Bobigny, et encore avant pour La Courneuve. Je suis également militant associatif et président de Seine-Saint-Denis Au Cœur (SSAD), un collectif citoyen engagé en politique.

Vous avez milité au sein de l’association ASAD avant de co-fonder Seine-Saint-Denis Au Cœur. Pourquoi avoir lancé cette initiative ? Quel en était l’objectif et quels résultats concrets avez-vous obtenus ?

Seine-Saint-Denis Au Cœur avait pour but initial de bousculer l’establishment baronial local en Seine-Saint-Denis. On a de gros barons locaux qui, en politique, s’intéressent très peu, selon moi, aux réalités et préoccupations des gens — des gens qu’ils qualifient parfois « d’en bas ». L’idée était de vulgariser la vie publique pour permettre à ces « gens d’en bas » de mieux l’appréhender, l’apprécier, s’en saisir et l’utiliser simplement.

L’objectif de Seine-Saint-Denis Au Cœur était avant tout de vulgariser la vie publique et politique afin de remettre au centre du débat les citoyennes et citoyens de tous âges, toutes origines et toutes nationalités.

Les membres de Seine-Saint-Denis Au Cœur, particulièrement ceux qui s’y engagent profondément, sont pour la plupart déjà actifs dans le monde associatif. Ils mènent des projets, des actions, des combats. Pour ma part, j’étais engagé sur la question de l’éducation au sein de l’association Action Solidarité pour l’Autonomie Durable (ASAD), où nous accueillons 200 enfants. Depuis 2004, je suis impliqué dans cette association. Parallèlement, j’étais président de l’amicale des locataires, où nous organisions des permanences d’accès aux droits.

L’idée était donc de rassembler toutes les forces vives — les personnes motivées et intéressées — autour d’une démarche collective visant à permettre aux habitantes et habitants de prendre leur destin en main.

Est-ce que vous engager politiquement était une évidence pour vous ?

Une évidence ? Peut-être pas. Je dirais plutôt que, par défaut, j’ai dû y entrer. Je l’ai fait à travers Seine-Saint-Denis Au Cœur, notamment durant la crise du Covid-19. La situation était tellement critique et chaotique que je me suis rendu compte que nos politiques ne pouvaient comprendre ce qui ne les touchait pas directement.

C’est là que j’ai décidé de m’engager davantage. Pendant des années, on m’a fait les yeux doux, on m’a proposé d’intégrer des majorités municipales, mais j’ai préféré créer mon propre mouvement avec d’autres et constituer une force autonome pour peser sur l’échiquier politique.

Était-ce une évidence pour vous d’accepter l’offre des Insoumis de vous présenter aux législatives anticipées provoquées par la dissolution ?

On ne m’a pas fait une offre. Je dirais que c’est moi qui l’ai créée et construite. Je crois fermement que la chance n’existe pas : on crée ses propres opportunités ou on apprend à les voir et les saisir.

Cette opportunité, je l’ai forgée à travers plusieurs années d’engagement. Je me suis présenté aux élections départementales en 2021, où, notamment à La Courneuve, j’ai obtenu 30 % des suffrages pour le binôme et la liste que nous conduisions.

Lors des législatives, nous avons été candidats, obtenant parmi les meilleurs scores des listes citoyennes en France. Nous avons constaté que la NUPES perdait du terrain et nous nous sommes demandé quel mouvement national nous correspondait le mieux, tout en ayant une démarche locale.

Nous avons décidé de nous rapprocher de La France Insoumise (LFI) car leurs idéaux étaient les plus proches des nôtres. Nous nous sommes inscrits dans cette dynamique lors des élections européennes. Personne ne pouvait prévoir la dissolution, mais lorsqu’elle a eu lieu, nous avons contacté LFI pour poursuivre cet engagement commun, ce qu’ils ont accepté.

Finalement, l’idée d’une candidature sur la 5e circonscription de la Seine-Saint-Denis a émergé. Ce n’était pas la circonscription la plus facile, bien au contraire. Mais j’aime croire que nous sommes des personnes qui aiment relever des défis.

Pourquoi pensez-vous que la représentation politique est particulièrement essentielle aujourd’hui, notamment en Seine-Saint-Denis ?

Je pense que si des Noirs, des Arabes, des Indo-Pakistanais, des Asiatiques et autres commencent à s’investir en politique, à prendre leur juste place, et si cette politique-là cesse d’être l’eldorado des déçus d’autres régions, ce serait une bonne chose.

Je suis très fier d’être le seul député du 93 natif du 93. Mais il faut aller plus loin. Les partis politiques doivent cesser de prendre la place de personnes qui, légitimement, pourraient porter la voix des habitants des quartiers populaires.

Cela peut sembler utopique, mais je pense que La France Insoumise (LFI) a fait un grand pas en avant dans ce sens. C’est aussi l’idée de Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il parle de « la nouvelle France ».

Malheureusement, LFI reste isolée dans ce combat, mais j’ai envie d’y croire. Si les partis politiques ne le font pas, Seine-Saint-Denis Au Cœur sera là pour le rappeler, du moins à l’échelle du 93.

Je pense que cela inspirera d’autres initiatives ailleurs. L’idée n’est pas de prendre la place pour le plaisir, mais d’incarner, motiver et susciter des vocations chez les habitants des quartiers populaires, qui s’abstiennent massivement lors des élections.

Sur quels points portaient les recours déposés par Raquel Garrido contre vous devant le Conseil constitutionnel ?

Ils ne sont pas forcément portés par Raquel Garrido, et il y en a eu quatre au final. Mais quand on perd, il n’y a pas de problème. Quand on gagne et qu’on s’appelle Aly Diouara, qu’on est un jeune de banlieue noir, issu des quartiers populaires, finalement on a envie non plus de nous invisibiliser, mais de nous refuser cet accès-là et cette position-là parce que, oui, c’est un nouveau monde. Le nouveau monde, pour moi, il est là. Quand E. Macron parlait du « Nouveau Monde », c’était le nouveau monde politique, mais en réalité c’est le même depuis 1789. Ce sont les mêmes personnes qui siègent (l’Assemblée nationale) là.

Il n’y a qu’à voir la photo que nous avons prise dès notre arrivée, mais du moins qui a été diffusée sur les réseaux sociaux de manière un peu instinctive, puisque la photo n’a pas été orchestrée. On était assis, c’était la fin de la journée, une collègue passant par là nous dit : « Attendez, je vous prends en photo. » Elle nous a pris en photo. On a beau s’habiller comme ils le souhaitent, se maquiller comme ils le souhaitent, avoir de grands sourires comme ils le souhaitent, venir à l’heure, se poser et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour être les plus représentatifs et les plus exemplaires possible. Jean-Pascal Zadi disait : « Tout simplement Noir. »

Malheureusement, on sera toujours confrontés à ça, et ce ne sont pas les derniers discours de François Bayrou qui diront le contraire. Donc après, à droite comme à gauche, on va nous refuser ça.

Vous avez le recours de Raquel Garrido qui ne se base sur rien. Vous avez le recours des proches du clan Lagarde qui ne se base sur rien. Vous avez le signalement du préfet de la Seine-Saint-Denis, chose extrêmement rare, qui se base là aussi sur rien. Et au final, vous avez le rejet de mes comptes de campagne par une commission censée être indépendante et juger en droit, et qui se base aussi sur rien !

On a du néant sur du néant, et moins et moins, ça ne fait pas plus ! J’ai vécu six mois dans l’incertitude. C’était compliqué parce que j’aurais aimé porter une parole beaucoup plus forte, et je me suis astreint au strict minimum. J’aurais aimé m’exprimer plus fortement sur la prise en charge de la drépanocytose ou sur le syndrome méditerranéen. J’aurais souhaité porter une parole beaucoup plus forte sur la question des loyers et la gestion ségrégationniste de l’école.

J’aurais aimé porter une voix plus forte sur la question du chômage qui touche et frappe de plein fouet les habitants des quartiers populaires. J’aurais aimé parler plus fort de l’accueil ici (à l’Assemblée nationale) de stagiaires, de femmes et d’hommes en difficulté pour leur ouvrir réellement la maison du peuple.

Je n’ai pas pu le faire parce que j’étais contraint dans mon expression publique, en faisant attention à ne pas faire de vagues. Par exemple, quand je suis là pour calmer le jeu lors d’une interpellation de police à La Courneuve, on me fait passer pour celui qui a insulté les policiers. Heureusement, les caméras étaient là, et le procureur m’a dédouané. Mais qu’est-ce que dit Le Parisien ? « Le procureur calme le jeu. » Ça veut dire quoi ? Soit j’ai insulté, soit je n’ai pas insulté. Je n’ai pas insulté, et le procureur a les preuves de ça. Ensuite, ils changent leur article pour dire : « Le procureur le dédouane. » Le mal est fait ! Un million de vues plus tard !

Dans ce que vous venez de nous dire, ou même dans l’affaire des recours au Conseil constitutionnel, on sent une sorte d’instrumentalisation médiatique. Il y a également l’article du Canard Enchaîné que Raquel Garrido tient pour fautif, et toutes les réactions autour de la fameuse photo avec les députés Delogu, Arnault et Martens Bilongo. Est-ce que vous sentez une sorte d’instrumentalisation autour de votre personne en tant que député ?

Je ne dirais pas que c’est une instrumentalisation, je dirais que c’est une communication à minima discriminatoire, et au pire raciste, autour de ma personne. C’est une réalité. À un moment donné, il ne faut pas se cacher. Caroline Yadan a vu ses comptes de campagne rejetés, mais on n’a vu aucun article de presse ni quoi que ce soit. Pourquoi ?

Pourquoi Aly Diouara, sur la base d’un rien, d’un emploi, d’une association (SSAD) qui aurait hypothétiquement influé sur un scrutin que je gagne avec quasiment 7 000 voix d’écart ? Soyons sérieux, c’est une élection nationale ; la SSAD, c’est local. Tout en sachant que deux ans avant, j’ai été candidat avec les mêmes couleurs et que mes comptes de campagne ont été validés intégralement. Trois ans avant, pareil.

Soyons sérieux : c’était juste une cabale politique, il n’y avait rien d’autre derrière.

C’était une cabale politique alimentée par des adversaires. L’une avait une double peine, si ce n’est une double haine : une contre La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon, et une autre contre ce « noir des quartiers » qui a osé venir et se poser dans ce système-là. Elle a beau se faire passer pour une racisée, je ne suis pas convaincu qu’à La Courneuve, elle serait contrôlée plusieurs fois par les mêmes patrouilles. Donc on se calme.

Il y a eu le signalement du préfet, conséquence de dénonciations antérieures de ma part, où j’ai notamment critiqué un appel à projets lancé par la préfecture pour les « quartiers d’été ». Ce dispositif permet aux associations d’organiser des vacances pour les familles. En Seine-Saint-Denis seulement, les subventions étaient conditionnées à des séjours pendant les JO 2024.

On dit donc à ces familles : « Quittez la Seine-Saint-Denis parce que ça va être le lieu où on accueille le plus de performances sportives pendant les JO. » J’ai trouvé ça raciste, et je l’ai dit. Aucun autre département n’avait cet appel à projet orienté de cette manière.

Cette association n’avait ni salarié, ni membre actif, ni compte bancaire. Heureusement, il n’y avait rien à me reprocher. Je ne parle même pas de l’emploi soi-disant de chef de service. Si j’avais été chef de service, je ne me serais même pas présenté et j’aurais touché un meilleur salaire. Je ne l’étais pas. Mais on m’a inventé une fonction que je n’avais pas.

Le Canard Enchaîné ne m’a jamais contacté, et il a prétendu que j’avais pris de l’argent. Mais quel argent ? Il n’y avait rien : pas de compte bancaire, pas un rond ! Tout ça fait partie d’une chronologie. Avant l’élection, pendant l’investiture, on m’accusait déjà : « C’est un antisémite, c’est un anti-Blanc. »

C’était une volonté de me détruire. C’était : « Comment a-t-il osé se lever ? » Voilà le message qu’on m’a envoyé. « Non, gère ta petite ville. Fais ton petit conseil municipal. Mais député, Palais Bourbon, venir t’asseoir sur les bancs rouges ? Jamais de la vie ! » L’idée, c’était d’empêcher d’autres personnes comme moi d’avoir cette place.

Est-ce que cela a été accentué avec la position qu’ont les élus insoumis sur l’échiquier politique à l’heure actuelle ?

Oui, ça a été accentué. Je pense qu’il y a un LFI bashing, c’est une réalité. On ne va pas se cacher là-dessus. Mais est-ce que j’aurais pris moins de coups si je n’étais pas à La France insoumise ? Je ne suis pas convaincu.

Toute la gauche du 93 était unie contre moi, toute la droite du 93 était contre moi, et toute l’organisation préfectorale était unie contre moi. J’ai beau essayer de me sortir de ça, la réalité est que l’idée était « Tout sauf lui. »

La Fenêtre d’Overton

La fenêtre d’Overton semble s’être déplacée dans le débat public, avec une stigmatisation croissante de la France Insoumise et une normalisation de discours extrémistes. Quelles seraient, selon vous, les conséquences si cette tendance se poursuivait ? Comment lutter contre cette dérive ?

De toute façon, en période de crise, les fascistes sortent leur tête, sont beaucoup plus présents et ont une plus grande influence. Là, on est dans la fin d’un système capitaliste qui fait qu’aujourd’hui, on essaie d’utiliser les fascistes comme étant un peu une variable d’ajustement politique dans les discours, etc. Maintenant, moi, je pense que je n’ai pas trop envie de parler d’eux. Le problème, c’est nous. Est-ce que nous, on arrive à faire front commun contre ces gens-là ? Moi, pendant qu’ils parlent de racisme, etc., hier j’étais allé visiter un centre de réfugiés. Comment la gauche s’organise pour mettre au cœur de son projet politique, idéologiquement et en premier lieu, la question de l’antiracisme. C’est ça le bouclier qu’il faut avoir.

Pendant la campagne (législatives anticipées), je vais dans un marché à Bobigny. À force de faire les marchés, je me rends compte que beaucoup de gens que j’interpelle me disent : « Moi, je ne vote pas », « Je n’ai pas les papiers ». La plupart des personnes qui me disent ça sont des personnes qui ont 30 à 40 ans de vie en France. Je ne comprends pas ! Je sais pourquoi, mais je ne comprends pas comment on peut en arriver là. Promesses d’Hollande en 2012 : permettre aux étrangers de voter lors d’élections locales. On est en 2024 : pas de droit de vote, il n’y a rien eu du tout. Je mets un tweet et je dis que l’un de mes combats à l’AN, si je suis élu, ça sera de permettre aux étrangers de pouvoir voter aux élections locales. Et là, ce qui a été le plus surprenant, c’est que beaucoup de gens de gauche me sont tombés dessus pour me dire : « Ramène pas ça maintenant », « C’est pas dans le contrat du NFP », « Concentrons-nous ». Limite, « Mets sous le tapis ce sujet-là. Laisse-les être racistes un peu ». Je n’ai insulté personne, j’ai parlé d’un sujet politique dans un moment politique qui concerne des politiques publiques à mettre en place.

Qui seront les premiers impactés par une arrivée au pouvoir de l’extrême droite ? C’est pas Jean-Claude, agriculteur d’Ille-et-Vilaine, mais c’est « Il y a trop de Mamadou aux urgences ». Bah oui, jusqu’au plus haut sommet de l’État, ils le disent !

C’est pour ça que mon combat n’est pas directement contre la droite mais il est à gauche. La droite, je sais qu’on ne s’aimera jamais, qu’on ne peut pas être d’accord. T’es capitaliste, je suis plus dans le social ! Il y a un antagonisme qui est clair et établi, mais elle ne peut pas me prendre en traître puisque je sais qui elle est. Par contre, le gars de gauche si.

Ce qu’a fait le PS la dernière fois et hier ? « On ne vote pas la censure », « On est d’accord avec Retailleau, Valls & compagnie » et hier « On dit qu’on ne s’assoit pas à une réunion secrète ». Mais t’y vas pourquoi ? Parce qu’il a dit « Submersion migratoire » ? Mais l’autre, il t’a dit « Français de papier ». Il te dit qu’il y a une « Régression vers les liens ethniques ». Il est là devant toi, tu signes ! Vous vous moquez de nous ! C’est théâtral !

Donc mon combat, il est surtout d’avoir les bons boucliers, les bons soldats à gauche, mais je pense que ça peut venir que de nous. Il n’y a que nous qui vivons les choses dans notre chair. C’est pas possible que les autres le vivent.

J’ai reçu la famille d’Israël Tambu. Ils viennent de Bourges ! Qu’est-ce que j’ai à voir avec Bourges ? Mais si je ne le fais pas, qui va le faire ? Je les reçois parce qu’il y a un vrai sujet. Il y a un sujet dans la prise en charge médicale en France envers les personnes racisées pour qui on croit que ça va ! « T’as mal à la tête, c’est rien ».

Par exemple, le premier choc que j’ai eu en tant que jeune lycéen, c’est un petit qui s’appelait Amadou et qui allait dans mon lycée-collège, qui est décédé. Pourquoi ? Il avait extrêmement mal à la tête, il est parti voir l’infirmière qui lui dit de repartir. Il a fait une crise d’anévrisme. Moi, ça, je ne peux pas.

Donc si j’ai ce rôle-là, cette mission-là, cette fonction-là et que je ne la mets pas à profit des gens les plus en difficulté dans la société, j’aurai servi à rien. Mon utilité, elle est là. Comme je leur dis souvent (à mon cabinet), 70-75 % de notre travail est en direction des gens pour lesquels nous n’avons aucun gain électoral.

La violence institutionnelle : Lutter pour les suivants

Quels sont les principaux combats que vous portez en tant que député ? Pensez-vous qu’il sera possible de proposer des mesures législatives durant votre mandat ?

J’ai reçu la famille d’Israël Tambu, ils viennent de Bourges ! Qu’est-ce que j’ai à voir avec Bourges ? Rien, mais si je ne le fais pas, qui va le faire ? Je les reçois parce qu’il y a un vrai sujet. Il y a un problème dans la prise en charge médicale en France envers les personnes racisées, pour qui on pense que ça va, qu’une simple douleur à la tête c’est rien. Par exemple, le premier choc que j’ai eu en tant que jeune lycéen, c’est un garçon, Amadou, qui allait dans mon lycée-collège, et qui est décédé. Pourquoi ? Il avait extrêmement mal à la tête, il est allé voir l’infirmière, qui lui a dit de repartir. Il a fait une crise d’anévrisme. Moi, ça je ne peux pas accepter. Donc, si j’ai ce rôle, cette mission, cette fonction, et que je ne la mets pas à profit des gens les plus en difficulté dans la société, je n’aurais servi à rien. Mon utilité, elle est là. Comme je leur dis souvent dans mon cabinet, 70-75% de notre travail est destiné aux gens pour lesquels nous n’avons aucun gain électoral.

Le plus important durant mon mandat, ce n’est même pas les mesures. Vous avez vu l’état de l’Assemblée Nationale. Quand on n’est pas dans la majorité, c’est beaucoup plus compliqué. Mon message à moi, il est ailleurs. On est entré, la porte est restée ouverte, et on ne va plus la fermer. C’est ça mon message. Beaucoup vont venir. Pas de « français de papier », on va être français pleinement. Des Français à part entière et pas entièrement à part. Comme disait Churchill, « soit vous prenez le changement, soit vous accompagnez le changement par la main, soit il vous prendra par la nuque ». C’est ce qu’on essaie de faire à notre échelle aujourd’hui.

Ce n’est pas une question de violence. La violence, c’est nous qui la subissons. La violence institutionnelle et toutes les formes de violence, c’est nous qui les subissons. Les passoires thermiques, les logements énergivores, l’humidité dans les logements, l’insalubrité, la promiscuité, tout ça, c’est nous qui le subissons. Pas de professeurs, des enfants en situation de handicap qui n’ont pas d’AESH, c’est nous qui le subissons. Jusqu’à la mise en place des ZFE (zones à faibles émissions), c’est nous qui allons la subir.

Mon objectif premier, c’est incarner, symboliser, permettre à tout le monde de rentrer dans le train autrement que par le sport, la musique, et d’autres moyens.

La démocratisation de l’enseignement a fait en sorte qu’aujourd’hui, comme le disait Léon Blum, un enfant d’agriculteur deviendra agriculteur, un enfant d’ouvrier deviendra ouvrier, et ainsi de suite. Là, non. Papa était ouvrier, et moi, Aly, je suis député.

Alex : Est-ce que ça ne fait pas un peu mal de savoir que vous avez été un précurseur et que ce sont les gens derrière vous qui poseront les questions ?

Non, ça ne me dérange pas, parce que je n’étais pas forcément programmé pour être là. Encore une fois, on crée l’opportunité et on s’en saisit pleinement. On est tous précurseurs de quelque chose, donc ce n’est pas très grave. Quand je vois tout le travail que fait Rokhaya Diallo, elle est précurseur de quelque chose. Il faut bien que ce soit elle qui prenne les coups en premier. D’autres viendront avec le bagage nécessaire pour dire « Tu ne veux pas me faire ça ? »

Il y a eu d’autres députés noirs, et des arabes aussi, sauf que beaucoup d’entre eux ont fermé la porte à double tour et n’ont pas permis, de ce que j’en ai vu, à d’autres de rentrer.

Je ne suis pas précurseur de quoi que ce soit, je suis juste à ma place pendant un temps, et je vais faire en sorte que si on me donne un mois, cela devienne un an, et si on me donne un an, que cela devienne dix ans. Pendant ce temps, je ferai en sorte que toutes celles et ceux qui socialement étaient dans les mêmes conditions que moi, et que j’ai vécues, me rejoignent d’une manière ou d’une autre.

S’inscrire dans le récit national tout en changeant le narratif autour de la migration

Alida : Est-ce que vous auriez des conseils pour les jeunes qui souhaiteraient s’engager en politique ? Comment appréhender l’accusation de communautarisme ?

Je leur conseillerais de lire un livre qui s’appelle L’Alchimiste de Paulo Coelho. Dans ce livre, il dit très clairement : « la vie se vit en communauté ». Nous sommes une communauté d’êtres humains. Si on m’accuse de communautarisme parce que je traite avec des gens qui habitent dans mon coin, il n’y a pas de problème, mais pourquoi on n’accuse pas les agriculteurs de communautarisme ? Chacun est en communauté en fonction de son intérêt, sauf que pour les immigrés ici, et pour nous si on part ailleurs, on nous dit « expatriés ». C’est juste une question de propos, de sémantique, et de qui le dit. Tu peux m’accuser de communautarisme, ça ne change rien à ma vie puisque j’habite dans le 93 et je vais parler aux gens pour lesquels on est partis dans les pays d’origine pour les coloniser et ainsi de suite. Vous les avez tous mis dans des barres d’immeubles et dans ces endroits. C’est le résultat et le fruit d’une politique menée pendant 50, 100 ans, c’est tout.

Aujourd’hui, on nous pousse à avoir honte des gens qu’on côtoie autour de nous, je n’ai pas honte. Vous avez créé les conditions de ces ghettos sociaux qui, d’une certaine manière, nous permettent de nous émanciper. On va s’appuyer sur cela pour en faire une force et monter progressivement. Moi, je n’ai aucun souci avec ça.

Dans L’Alchimiste, ils disent qu’un exemple des oiseaux montre que, parfois, ils volent en communauté, mais ne se séparent pas. Je reste focus sur ça. Il y a une citation dans L’Alchimiste qui dit : « Tout ce que nous craignons, c’est de perdre ce que nous possédons, que ce soit nos biens ou nos cultures, mais cette crainte cesse lorsqu’on prend conscience que notre histoire et l’histoire du monde ont été écrites par la même main. » Donc moi, je vais vers ma légende personnelle et j’encourage tout le monde à aller vers sa légende personnelle.

Ce n’est pas du communautarisme, ce n’est pas du prosélytisme, c’est juste du bon sens de vivre en communauté, et ce qu’on appelle la politique. La politique, c’est la gestion, ce sont les relations humaines. Quand je vais à la boulangerie et que je m’entretiens avec le boulanger au sujet de sa baguette, qui me coûte 20 centimes de TVA, c’est de la politique, parce que je paie un impôt. Mais on a réussi à faire en sorte que, dans le monde entier, les gens ne payent pas d’impôts. C’est impossible ! Tout le monde paie un impôt, sauf les bébés, mais tout le monde paie. Le réfugié paie un impôt. On paie même plus d’impôts que les autres parce que notre propension marginale à consommer est bien plus grande. On dépense 60-70% de notre argent dans l’alimentation et le logement, tandis que d’autres en dépensent moins de 40%, car ils sont propriétaires pour beaucoup d’entre eux. Le reste va dans la culture, les voyages, et l’augmentation de leur patrimoine. Les premières inégalités sont des inégalités de patrimoine, pas de revenus. On participe tous au développement et à la réussite du pays, mais on nous pointe du doigt.

Mais je refuse les discours comme « l’immigration est une richesse ». Arrêtez. C’est une manière de faire passer les choses. Pourquoi l’immigration serait une richesse ? C’est laisser entendre qu’on accepterait l’immigré seulement s’il vient travailler, s’il nous sert à quelque chose, selon une logique productiviste. Mais non, en fait. Ce qui excuserait le « ne soyez pas racistes tout de suite, attendez qu’ils travaillent, après on verra ». Et quand j’ai dit ça, on m’a accusé d’être un anti-syndicaliste…

Est-ce qu’il ne faudrait pas changer tout le raisonnement de la gauche sur l’apport migratoire ?

Moi, je pense que la gauche a échoué dans son récit. C’est à nous de créer et de construire ce nouveau récit de l’histoire de France. Le problème est que collectivement, on ne s’est pas inscrit dans ce récit. Chacun a pu piocher ici et là son petit truc, son petit intérêt, mais on n’est pas dans le récit. Il faut rentrer dans ce récit. Aujourd’hui, on subit, mais on ne participe pas à l’écriture du récit français post-colonial, des Trente Glorieuses, des Trente Piteuses, et ainsi de suite. Pour participer au récit, il faut aussi regarder la vérité en face. Nous avons plusieurs gauches, et beaucoup de ces gauches, depuis des années, ne cessent de nous faire subir des politiques de droite. À un moment donné, il va falloir dire non.

Mon voisin ici, c’est Olivier Faure. Ce n’est pas une question de gauche ou de droite pour lui, mais une question de garder sa place. L’un de ses meilleurs amis, c’est le ministre de l’Économie (Éric Lombard). Il vient de dire : « Il faut qu’on voit comment on permet une immigration de travail » (27 janvier 2025). Quand, il y a 4-5 mois, je disais à Sophie Binet de ne pas voir l’immigration seulement par son rendement, la CGT93 a fait un communiqué contre moi. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’études qui montrent que les immigrés apportent de l’argent et contribuent au développement du pays. Le problème, c’est le récit qu’on en fait.

Aujourd’hui, la gauche ne fait toujours pas son récit de valorisation non pas des immigrés, mais de la mise en avant du fait que tout le monde est français à part entière, sinon on ne permettrait pas l’Eldorado. En Seine-Saint-Denis, vous avez au moins dix maires qui ont l’accent du sud. Ce n’est pas normal, désolé, il y a un petit problème. Ce n’est pas comme si nous ne pouvions pas gérer nos villes. On nous a fait ça de la même manière que quand on était petits et que l’on avait des profs venus de Moselle, de Normandie, de Bretagne. On leur disait que ça allait être difficile ici d’avoir le concours, qu’ils allaient ailleurs, il y a de la place, et qu’ils reviendraient après. Nous, on n’a pu rentrer que lorsque Hollande est arrivé avec la promesse des 60 000 places.