Crise au CROUS de Paris : Quand la réduction d'heures et les réseaux sociaux révèlent les failles de la protection de l'emploi étudiant.

6/4/2024

En avril dernier, la décision du CROUS de Paris de réduire les heures de travail de ses téléconseillers et de délocaliser son centre d'appel a provoqué un choc parmi les employés et soulevé des questions sur la protection de l'emploi étudiant en France.

Le mois dernier, une vidéo publiée sur le compte Instagram de l’Union Étudiante par les téléconseillers du CROUS a mis la lumière sur une décision troublante prise par le CROUS de Paris : la réduction significative des heures de travail des téléconseillers et la délocalisation de leur centre d'appel. Ces mesures, annoncées sous la direction de Thierry Bégué, ont rapidement suscité un vif émoi parmi les employés et au-delà, révélant les profondes tensions entre les décisions de gestion et leurs conséquences directes sur le quotidien des travailleurs étudiants.

Cette décision met en évidence non seulement la précarité accrue de ces emplois, mais aussi les questions concernant la protection de l'emploi étudiant et la responsabilité sociale des institutions qui dépendent de leur travail. À travers cette crise, c'est toute la question de la valeur accordée au travail étudiant et de l'équilibre entre efficacité opérationnelle et éthique organisationnelle qui est remise en question.

Thierry Bégué, directeur du CROUS de Paris, interviewé par Le Parisien, justifie la délocalisation par la nécessité de « gérer un volume d'appels excessif et un taux de décrochage insatisfaisant. » Selon lui, "les centres de province, grâce à leurs plus grandes capacités de réponse, peuvent offrir un meilleur service aux étudiants." Cependant, cette décision semble avoir été prise sans une consultation approfondie avec les parties affectées.

En effet, nous sommes allés interviewer les téléconseillers du CROUS, premiers concernés, qui contestent la version officielle des faits. « Les chiffres sur lesquels il base ces décisions sont faussés. Il utilise le taux de décrochage comme excuse, mais il ne mentionne pas que nos systèmes sont souvent en panne, ce qui nous empêche de répondre aux appels. » Confie une des téléconseillères. « Quand les étudiants abandonnent l'appel avant qu'on ne décroche, c'est compté contre nous. » Ce contraste entre la gestion et la réalité opérationnelle crée un climat de méfiance et de frustration parmi le personnel.

Par ailleurs, la transition sous la nouvelle direction du CNOUS (centre national des œuvres universitaires et scolaires), a été marquée par une communication insuffisante et des décisions perçues comme arbitraires. "Avec l'arrivée de la nouvelle directrice, Bénédicte Durand, nos appels à une communication ouverte et transparente semblent être ignoré. Ce sentiment, d'être négligé est récurrent, surtout lorsqu'ils comparent leur traitement à celui d'autres employés du CROUS. » Rapporte un membre de l’équipe.

"Passer de 600 euros à 80 euros par mois du jour au lendemain a été un choc. Comment sommes-nous supposés payer nos loyers, nos frais à couvrir, ils ne considèrent pas du tout notre réalité ?" s'indigne une autre téléconseillère. Ces coupes budgétaires drastiques surviennent au pire moment, en pleine période d'examen, augmentant le stress et l'anxiété nous explique une autre : « Je n’arrive pas à me concentrer sur mes cours, parce que je dois chercher un travail, parce qu'à la fin du mois, il n'y aura que 80 euros, et ça ne va pas payer mes factures, en fait, tout simplement. De plus, il faut être là aussi pour la cause, donc de poster, de réfléchir à certaines choses, ça demande du temps. »

En réponse à l'inaction apparente des dirigeants, les téléconseillers ont pris l'initiative de créer des comptes sur les réseaux sociaux, Instagram et Tiktok sous le nom "Agents en détresse", pour alerter l'opinion publique. Leurs publications, partagées plusieurs milliers de fois, ont finalement poussé la direction à prendre contact avec les représentants étudiants. "C'est seulement après avoir vu l'ampleur de la réaction en ligne qu'ils ont commencé à nous prendre au sérieux," affirme un membre du groupe. L’arrêt de cette grève n’a pas été communiqué.

Face à ces changements, les téléconseillers ont également initié une grève effective depuis le 15 avril dernier, ne travaillant que le jeudi. "On a décidé de faire cette grève parce qu'ils avaient déjà mis en place ce qu'ils appellent un débordement, c'est-à-dire qu'il y avait déjà quelques-uns de nos appels qui allaient dans les centres de contact de province...On voit bien qu'ils galèrent", rapporte une employée.

Les déclarations du directeur dans Le Parisien contrastent fortement avec les témoignages des employés. "Il parle d'améliorer le service, mais en réalité, c'est une réduction de coûts déguisée qui sacrifie notre bien-être," critique une téléconseillère. Cette situation soulève des questions sur la transparence et l'éthique de la gestion au sein du CROUS.

Par ailleurs, cette crise illustre les défis auxquels sont confrontés les étudiants qui dépendent d'emplois à temps partiel pour financer leurs études. Elle met en évidence la précarité de l'emploi étudiant et l'importance d'une gestion plus humaine. "Ce n'est pas seulement notre travail qui est en jeu, c'est notre vie étudiante, il faut ensuite trouver un job d’été, puis un travail pour l’année prochaine, comme si notre vie n’était pas déjà assez dure." Nous constatons que la précarité de ces emplois nécessite une régulation plus stricte pour protéger les travailleurs étudiants. En effet, selon une étude de l’INSEE, « En 2020, parmi les 236 200 étudiants habitant les Hauts-de-France, 23,2 % exercent un emploi en parallèle de leurs études. » - une tendance qui se reflète à l'échelle nationale.

La situation actuelle au CROUS de Paris n'est pas un cas isolé, mais un symptôme révélateur des défis auxquels sont confrontés les étudiants qui jonglent entre études et emplois à temps partiel. Les téléconseillers, par leur mobilisation, espèrent non seulement renverser ces décisions, mais aussi inspirer un changement pour une meilleure reconnaissance et protection de l'emploi étudiant à travers le pays.

Les institutions, les employeurs, et les législateurs doivent donc travailler de pairs pour créer un environnement où les étudiants peuvent exceller sans crainte de précarité. Ainsi, nous pourrons véritablement soutenir ceux qui demain, porteront et transformeront notre société.