Culture du Viol : Chimère ou réalité ?

7/19/2023

Depuis le mouvement « #metoo », la parole s’est libérée en termes de violences sexuelles, permettant aux victimes de dénoncer leur bourreau, mais aussi aux masculinistes de renforcer leur discours stéréotypé concernant les femmes et les violences sexuelles. Des discours niant sciemment la culture du viol dans notre bel hexagone, la décrivant comme chimérique. Alors aujourd’hui, on s’est posé une seule question : la culture du viol est-elle une réalité en France ou une simple chimère ?

La Culture du viol, c’est quoi ?

En mai 1969, alors que le mouvement des femmes prenait de l’ampleur, un groupe de femmes de Boston s’est réuni lors d’une « conférence sur la libération des femmes » à l’Emmanuel College.

Pour comprendre le concept de « culture du viol », il faut revenir aux origines de ce dernier.  Par conséquent , il faut revenir à sa définition par le «  Boston Women’s  Health Collective » en 1969-1970 dans l’ouvrage «  Our Bodies, Ourselves » en ces termes : l’ensemble des comportements banalisant  ou encourageant les agressions sexuelles en  rendant la victime responsable de l’agression (tenue vestimentaire, consommation d’alcool) , en  mettant sa parole  en doute, en poussant  les jeunes garçons à insister pour avoir des relations sexuelles et en jugeant négativement les femmes qui en ont (slut-shaming).

Ensuite, il faut rappeler que la culture du viol est liée aux mythes sur le viol que Lonsway & Fitzgerald ont définis en 1994 en ces termes : « Attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes », mais cela vaut pour toutes les victimes : femmes et hommes, adultes et enfants.

Ces attitudes et croyances peuvent être regroupées en trois catégories :

  • « Il ne s’est rien passé » : Les femmes seraient des affabulatrices qui souhaiteraient « gâcher la vie » de l’homme accusé.
  • « Il s’est passé quelque chose mais c’était consenti » : le fameux mythe du « non » qui veut dire « oui » ou encore du classique « elle ment, elle a aimé ça ! Ce n’est pas un viol » … Tous ces mythes sous-entendent que la victime aurait dû se débattre, repousser l’agresseur.
  • « Elle a été violée mais c’est de sa faute », c’est-à-dire qu’il y a bien eu un viol mais c’est la victime la responsable à cause de sa tenue, de sa supposée imprudence.
Nafissatou Diallo
Dominique Strauss-Kahn

En d’autres termes,

La culture du viol, c’est Nafissatou Diallo accusée d’en avoir après la fortune de « l’homme à femmes » qu’est Dominique Strauss-Kahn lorsqu’elle l’a accusé de viol.

La culture du viol, c’est la décrédibilisation des femmes qui ont porté plainte contre Benjamin Mendy.

La culture du viol, c’est constamment qualifier de « playboy », « homme à femmes » les prédateurs sexuels.

La culture du viol, c’est le revenge porn.

La culture du viol, c’est une femme qui se fait insulter par un policier lorsqu’elle dépose plainte pour « agression sexuelle »

La culture du viol, c’est la banalisation d’un viol conjugal par des émissions de grandes écoutes comme TPMP : En 2018, au cours d’un débat sur le viol conjugal, Delphine Wespiser a dit : « Des choses qui se font quand l’une ou l’autre des personnes dorment, c’est tout à fait mignon, c’est tout à fait sympa” suscitant la colère des téléspectateurs…

La culture du viol, c’est aussi les injonctions à la pudeur, les mises en garde, les stéréotypes misogynes sur les femmes et leur corps.

La culture du viol, c’est tout cela est plus encore .

La théorie masculiniste sur la culture du viol

Puis, en opposition, on a un discours masculiniste qui rejette en bloc cette culture du viol. Les masculinistes voient la culture du viol comme un mythe inventé par les « néo-féministes » pour brider et accabler les « hommes blancs hétérosexuels » de tous les maux de notre société. Ces théories, autrefois peu relayées, sont de plus en plus répandues sur les réseaux sociaux.

D’ailleurs, le  journaliste Jérôme Blanchet- Gravel va plus loin dans Causette, en accusant les « néo-féministes » de « dresser une société qui serait remplie d’hommes des cavernes » en « propageant le mythe de la culture du viol ».  Sauf que n’en déplaise à monsieur Blanchet-Gravel et ses semblables, « les hommes mentent mais pas les chiffres ».

En effet, Ipsos a révélé en 2019, à travers une série de sondage autour des français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles fait  pour l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qu’en france, il y a une grande adhésion à la culture du viol puisque 42% des français  « estiment que si la  victime a eu une attitude provocante en public, cela atténue la responsabilité du violeur » contre 40% en 2015.

De plus, chaque année en france 94 000 femmes sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol. Seules 12% des victimes portent plainte.

Ensuite, on peut ajouter que  selon une enquête de l’INED en 2017, durant l’adolescence, les filles sont deux fois plus victimes de violences sexuelles que les garçons ou encore qu’une femme sur six a fait son entrée dans la sexualité par un rapport non consenti et désiré selon une enquête « #NousToutes ».

#MeToo : libération de toutes les paroles …

Patrick Poivre d’Arvor

Tous ces chiffres montrent que la culture du viol est bien réelle dans notre beau territoire français pourtant 2017 sonnait comme un vent de liberté autour de la question des violences sexuelles : des actrices, animatrices télés, journalistes, comédiennes,  en France et aux Etats-Unis ont dénoncé leurs célèbres bourreaux d’Harvey Weinstein  à Patrick Poivre d’Arvor, les masques tombaient … Les influenceurs, rappeurs, chanteurs, réalisateurs ou encore simple civil  n’échappent pas ou presque à la vague de libération de la parole permis par le mouvement « #MeToo ». Presque puisque malgré ce mouvement , la population française fait face à une « régression dans la maîtrise de la définition du viol, par rapport à 2016 » selon la psychiatre Muriel Salmona. Effectivement, on peut voir en cela un effet contre-productif des débats autour du mouvement « #MeToo » qui ont été à l’origine du renforcement théories fumeuses autour des fausses accusations qui ne représentent que 2 à 6% des plaintes déposée ou encore des théories controversés sur le comportement « aguicheur » des femmes.

Enfin, les  dizaines de dénonciations faites par des jeunes femmes sur les réseaux sociaux et les réactions qu’elles suscitent sont l’expression même de ce que nous venons de dire.

Le cas du streamer TheKairi78 : accusé de viol

Le cas du streamer « TheKairi78 » de son vrai nom,Jaoued Daouki, est l’incarnation de cette ambivalence. Ce dernier est accusé d’avoir violé une femme  dans la nuit du 1er juillet au 2 juillet 2023, le parquet de Paris a ouvert une enquête.

Alors qu’il est accusé d’avoir violé une femme ivre, Jaoued Daouki n’a rien trouvé de mieux à faire que de décrire la scène dans un live tout en niant le viol.

Il utilise la ligne de défense extrêmement répandue et commune : l’insistance sur le comportement de la supposée victime et le consentement : «  Elle a mis sa tête sur moi et elle a commencé à se câliner » mais son récit se heurte néanmoins à sa propre incohérence puisqu’il dit juste auparavant « Au moment où elle sort du Uber , elle a vomi toutes ses tripes »  ou encore « Elle ne pouvait pas tenir debout (…) un mauvais geste, elle glisse, elle se prend le crâne sur le carrelage ».

Malgré un récit plus que caduc, TheKairi78 peut compter sur le soutien sans faille de sa communauté. Eh oui, pour sa communauté à majorité adolescente, le streamer est victime d’une machination et de fake news.

Son public a choisi le mythe du « Il ne s’est rien passé » et ce n’est pas étonnant puisque selon l’enquête d’Ipsos, citée plus haut,  plus de la moitié des personnes interrogées âgées de 18-24 ans pensent qu’il «  est fréquent d’accuser une personne par vengeance ou déception amoureuse ». Tandis que 34% pensent que c’est pour « attirer l’attention ».

Manifestation de groupes féministes le 18 novembre 2020 à Paris.  THOMAS SAMSON / AFP

Les enquêtes de sondage, les témoignages, la théorisation sociologique de la culture du viol sont trois des éléments permettant d’affirmer que la culture du viol s’ancre dans une réalité plus que déconcertante et bien loin du monde imaginé par les masculinistes et les hommes « Alpha »….