Mercredi 07 février dernier, se tenait à l’Assemblée nationale un colloque sur les violences policières
en France.
Retour sur cette table ronde organisée par Thomas Portes, député LFI.
Contexte historico-politique du pouvoir répressif français :
La violence policière fait des émules ces dernières années en France : violences, mutilations, blessés,
augmentation du nombre de morts ont été amèrement constatés depuis les restructurations initiées sous Nicolas Sarkozy puis, par la répression du mouvement des gilets jaunes sous la première présidence d’Emmanuel Macron. D’ailleurs, nombre d’organismes internationaux, dont les experts de l’ONU du CERD (Comité pour l’élimination de la discrimination raciale) ont dénoncé « l’usage excessif de la force », une « répression disproportionnée » et « blessures graves infligées aux manifestants ». Invitant le gouvernement français à réévaluer totalement la loi quant à sa compatibilité avec le droit international. En réponse à ces allégations, dans un communiqué du 9 juillet 2023, la France a contesté les propos tenus par ce Comité qu’elle juge "infondées" et "excessifs". Dix jours après le meurtre de Naël, tué à bout portant par un policier, le CRED est une nouvelle fois intervenu, se disant préoccupé par « la pratique persistante du profilage racial » en France, particulièrement sur les personnes « d’origine africaine et arabe » majoritairement visées par ces pratiques.
C’est dans ce contexte, que ce colloque organisé par Thomas Portes, animé par les députés LFI, Mathilde Panot, Danièle Obono, Alma Dufour et Ugo Bernalicis, ont convié Matthieu Molard journaliste à Street Press, Jordan Robichon, syndicaliste ainsi que les victimes de violence policière : Michel Zecler (producteur de musique passé à tabac par des forces de l’ordre le 21 novembre 2020 et dont les images d’une grande violence ont heurté l’opinion publique) ou leur famille : présence de la mère de Cédric Chouviat (décédé en 2020 des suites d’un malaise cardiaque après une violente interpellation), d’Eléonore Luhaka la sœur de Théo (victime d’une perforation du sphincter anal par la matraque d’un policier), du frère d’Olivio Gomez (tué le 17 octobre 2020 par un agent de la BAC75N, (brigade anticriminalité de nuit de Paris) renvoyé devant la cour d’assise des Yvelines) (réquisition jugée rarissime), de Samia El Khalfaoui, tante de Souheil El khalfaoui, 19 ans tué par un policier stagiaire. Enfin, Fabien Bilheran, ancien policier, lanceur d’alerte qui a dénoncé les pratiques policières internes nocives dont il a été témoin dans le cadre de ses fonctions dans son ouvrage Police : la loi de l’omerta.
Au sein de cette table ronde, différentes approches de ce fléau sociétal ont été abordées par les protagonistes. Historique d’abord, avec un rappel de l’histoire de la violence policière « institutionnelle » et « systémique » par la porte-parole LFI et son évolution structurelle. De l’application de la Déclaration de la police des noirs sous Louis XVI, à l’impact du pouvoir policier colonial entre le 18ᵉ et le 20ᵉ siècle dont les conquêtes et méthodes ont influencé les pouvoirs de police (techniques militaires pratiqués sur les civils qui ont au fil du temps constitué une boîte d’outils importante pour la police). En passant par le Maréchal Bugeaud, chargé de réprimer l’insurrection parisienne de 1834, d’écraser la résistance d’Abdel Kader d’Algérie en 1836 et théorisant la contrattaque coloniale à la répression des insurrections ouvrières métropolitaines. Puis, est évoqué le personnage de Maurice Papon, ancien secrétaire général du protectorat de la France au Maroc puis Préfet de police de Paris en 1958 qui « importe en métropole les doctrines, les agents, les idées et pratiques de la police issue de la guerre coloniale », affirme Danièle Obono. Enfin, les origines controversées de la BAC (brigade anticriminalité) qualifiées « d’héritière directe de la brigade nord-africaine chargée de la surveillance, contrôle, répression des travailleurs arabes durant l’entre-deux guerres » qui fait l’objet « d’un déni de reconnaissance étatique » reproche madame Obono.
Comment se manifeste la violence policière ?
Dans un deuxième temps est advenu la parole syndicale : l’observation d’une bascule majeure de la répression policière face à leur mouvement depuis 2022, a été décisive, a « créé un tournant » rapporte Jordan Robichon, syndicaliste CGT Energie.
Selon lui, il y a désormais « une forte répression des militants de gauche et d’extrême gauche par la police au sein des manifestations ». « J’ai pu observer une bascule de l’application de la force au sein des manifestations, chose marquante : aujourd’hui la police ne fait plus aucune distinction entre les personnes. J’ai assisté à des scènes choquantes, l’utilisation de violences sans raison apparentes sur des personnes de tout horizon, de tout âge ». « Cette violence a pour effet de réfréner les manifestants » rajoute-t-il. Ce dernier, témoigne d’un phénomène nouvellement apparu selon ses propos : « au sein de la fédération syndicale, une vraie répression systémique s’abat : le secrétaire fédéral a été convoqué devant les tribunaux, nous sommes dorénavant catégorisés comme dangereux pour la société ».
Une autre personnalité, Alma Dufour, députée de la Seine-Maritime, témoigne de violences policières rencontrées de près au cours de manifestations, lorsque cette dernière était encore militante. L’élue a notamment été marquée par l’usage abusif des LBD (lanceur de balles de défense) auxquels elle a miraculeusement réchappé. Cette arme controversée utilisant un projectile est de plus en plus fréquemment utilisée par les forces de l’ordre. Elle dénonce une utilisation scandaleuse « parfois sur des personnes de dos ». Ce témoignage n’est pas sans rappeler le sort de Jérôme Rodriguez, figure du mouvement des Gilets jaunes, éborgné par des tirs de grenade de désencerclement et symbole des violences policières dont la répression aura impliqué des blessures graves.
Qui sont ces victimes de violences policières ?
En France, d’après le Défenseur des droits, les jeunes hommes d’apparence noirs ou d’origines provenant du Maghreb ont 20 fois plus de risques d’être contrôlés par la police que le reste de la population française. Les violences policières s’orientent donc vers des jeunes hommes non-blancs. Le chercheur en sciences sociales, Mathieu Rigouste, spécialiste des violences policières, de l’époque coloniale, constate qu’il persiste une perception des hommes non blancs comme des êtres violents, agressifs, voleurs et violeurs qui conduirait à une méfiance constante envers ce phénotype et déterminant une réaction policière plus violente envers eux. Le profil des victimes de violences policières se ressemble. Ce sont des personnes vivant en banlieue, de classe sociale défavorisée, de genre masculins et racisés.
Quels constats institutionnels ?
Quid du rôle de la justice et de son positionnement face à ces événements ?
Tout d’abord, il a été rappelé par Matthieu Molard, co rédacteur en chef de Streetpress, lors de son intervention, que le statut de victime de violence policière n’est pas reconnu. Il expose divers constats. Primo, les magistrats qui se trouvent face à une bavure présument que c’est un événement isolé alors que l’agent, le plus souvent, exécute des ordres intimés par sa hiérarchie. « C’est une manœuvre pour l’État de s’exonérer de sa responsabilité » dit-il. Le cœur du débat réside en réalité dans la question de la « violence légitime » dont l’État aurait le monopole. D’autant plus qu’au sein du système judiciaire, ce sont des policiers qui enquêtent sur leurs collègues, faisant apparaître un risque accru de partialité. Qu'en est-il du rôle du procureur de la République censé contrôler l’action policière ? « Ce dernier », témoigne le journaliste, « ne se déplace pas dans les gardes à vue ». Matthieu Molard affirme avoir récolté plusieurs témoignages de substituts du procureur qui, face à des affaires concernant des policiers, cèdent systématiquement la gestion au Procureur de la République, haut fonctionnaire en lien direct avec ses supérieurs : les politiques à qui, il doit rendre des comptes.
Quelles solutions pour endiguer les violences policières ?
Par la suite, les questions législatives ont été abordées par Ugo Bernalicis, membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale et député LFI. Il a exposé certaines propositions envisagées par la France insoumise pour lutter contre les violences policières : un test de zones sans contrôle d’identité, procéder au rééquilibrage entre la police administrative et la police judiciaire, la dissolution de la Brav-M (unité de police principalement composée de membres de la Brigade Anti – Criminalité (BAC) et de la Compagnie de Sécurité d’Intervention (CSI)).
L’ensemble de ces développements ont partiellement convaincu l’auditoire, puisqu’ils n’ont pas totalement réussi à apaiser les familles présentes qui constatent, malgré fort de propositions politiques, une montée de ces violences policières. Du nombre de victimes. Sujet pour lequel s’entremêlent batailles et rivalités politiques qui étouffent le dénouement et résultats concrets tant attendus par les victimes.
Eléonore Luhaka, la sœur de Théo, a d’ailleurs manifesté, excédée, sa colère vis-à-vis de la lenteur de mise en place de solutions réelles pour les victimes de violence policières. Michel Zecler, les familles de victimes présentes ont toutes été unanimes sur l’incohérence et l’insuffisance des peines encourues par les policiers, auteurs de violences sur les civils. En effet, à titre d’exemple, le policier auteur des coups de matraque sur Théo a écopé d’une peine d’un an avec sursis pour des séquelles irréversibles pour le jeune homme qui aura « besoin d’un suivi médical à vie ».
Peines dérisoires qui ne permettent pas d’exercer un quelconque poids sur les forces de l’ordre aujourd’hui en France.
Article signé par Garance Massengo.
Les deux photos appartiennent à l'AFP - Thomas Samson.